Icône d’attention. Texte : À lire. Combien coûteraient des primes aux médaillés paralympiques? Photo de trois médailles : or, argent et bronze.

Combien coûteraient des primes aux médaillés paralympiques?

Un article de Kevin Breton publié le 14 mars 2022 sur ici.radio-canada.ca

Contrairement à leurs homologues olympiques, les médaillés paralympiques ne reçoivent aucune prime, mais la situation pourrait être sur le point de changer.

Tout au plus 670 000 $ : c’est la somme qu’il faudrait débourser pour récompenser à juste titre les Canadiens qui ont remporté des médailles aux derniers Jeux paralympiques. Mais ces para-athlètes ne toucheront pas un dollar, peu importe leur réussite.

Pourtant, depuis 2008, les athlètes non handicapés touchent une prime lorsqu’ils terminent parmi les trois premiers aux Jeux olympiques.

Pour l’or, 20 000 $; pour l’argent, 15 000 $; et pour le bronze, 10 000 $.

Ces primes à la performance sont versées par l’entremise du Fonds d’excellence des athlètes du Comité olympique canadien (COC). Ce sont majoritairement des donateurs privés qui en renflouent les coffres. Pour sa part, le Comité paralympique canadien (CPC) ne dispose pas d’un appui financier suffisant pour se permettre de faire la même chose.

La sénatrice Chantal Petitclerc, 14 fois championne paralympique, a récemment interpellé le représentant du gouvernement au Sénat à ce sujet.

« C’est une injustice que moi-même j’ai vécue en 2008, et tristement, ce n’est pas encore réglé. C’est trop simple de dire que le Comité olympique a plus de moyens et de ressources que le Comité paralympique. Ça ne justifie pas ce traitement inégal. Il existe des solutions que plusieurs pays ont trouvées », martelait-elle.

D’autres pays, comme l’Australie et les États-Unis, ont très récemment débloqué des fonds supplémentaires, pour permettre une équité entre athlètes et para-athlètes.

En entrevue avec Radio-Canada, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, a confirmé qu’elle est au courant depuis un moment de cette iniquité, et elle souhaite y remédier.« On va regarder de quelle façon on peut mieux soutenir ces athlètes, et comment on peut encourager l’intérêt des commanditaires privés », a-t-elle dit.

La cheffe de direction du CPC, Karen O’Neill, assure aussi qu’il s’agit là d’un dossier prioritaire pour son équipe. Le CPC souhaite même mettre en place une solution avant les prochains Jeux, ceux de Paris, en 2024.

Avec une récolte de 25 médailles (8 en or, 6 en argent, 11 en bronze), le montant total aurait été de 710 000 $, en utilisant les bourses olympiques. La somme pour la 2e place en parahockey serait multipliée par 17, pour récompenser chaque joueur. Même principe pour les cinq membres de l’équipe de curling en fauteuil roulant, et pour les quatre médaillés de bronze au relais en ski de fond.

Le total pourrait augmenter de 65 000 $ si on décidait de récompenser également les guides qui accompagnent sur les pistes certains athlètes avec une déficience visuelle.

Les solutions possibles

Marc-André Fabien, président du CPC, a confirmé son souhait de rétablir cette injustice en entrevue à Radio-Canada Sports, lors de la cérémonie de clôture des Jeux de Pékin.« Mon plan est le suivant : que cette disparité n’existe plus lorsque je vais quitter mes fonctions. Nous travaillons fort pour faire en sorte de rassembler les fonds nécessaires, pour que les athlètes paralympiques aient des bonis aux médailles équivalents à ceux des olympiens.»

Si le mouvement paralympique canadien adopte un modèle comme celui de son pendant olympique, il devra convaincre un investisseur de dépenser des sommes considérables. Un défi de taille, puisque la couverture médiatique réservée aux Jeux paralympiques est moindre, et donc sa visibilité aussi.

François Carrillat, professeur titulaire à HEC Montréal, a néanmoins été surpris de prendre connaissance de ce fossé entre athlètes olympiques et paralympiques.

« Je me serais attendu à une différence, mais pas de cet ordre-là. Les Jeux paralympiques bénéficient d’une plus grande couverture qu’il y a 10 ou 15 ans, et j’aurais cru que cela se serait reflété sur d’autres terrains, comme celui des commandites. »

« Mais ça prendra du temps encore, semble-t-il, ajoute le professeur spécialisé dans les commandites.»

« Tout part de l’exposition médiatique. L’intérêt d’un athlète, pour un investisseur privé, réside dans son capital médiatique. »— Une citation de François Carrillat, professeur titulaire à HEC Montréal

Dans d’autres pays ailleurs dans le monde, les primes proviennent directement des fonds publics. Les contribuables canadiens accepteraient-ils, selon lui, de voir leurs impôts utilisés de la sorte? « Je pense que le grand public reconnaît le mérite, l’effort et le niveau des performances des athlètes. Je ne pense pas que la population verrait ça négativement. »

Mais en prenant connaissance des propos de la ministre fédérale canadienne, laquelle dit vouloir réfléchir à une solution qui impliquerait le privé, François Carrillat imagine très bien un partenariat dans lequel le gouvernement canadien doublerait chaque dollar provenant de l’extérieur.

C’est une formule intéressante, car ça légitime la contribution, analyse le professeur. On voit que les autres sont prêts à s’engager, donc ça explique notre engagement. C’est plus facile à faire passer; ce serait une bonne stratégie.

L’exemple français

Si ce n’est que depuis quelques mois que l’Australie et les États-Unis offrent une récompense égale aux athlètes olympiques et paralympiques, la France peut se targuer de le faire depuis plus de 10 ans.

C’est de l’argent provenant entièrement des fonds publics qui est remis aux médaillés français : entre 15 000 et 65 000 euros (entre 20 000 et 90 000 dollars canadiens), selon la place occupée sur le podium. C’est le cas depuis les années 1990, mais il aura fallu attendre 2008 avant de voir une prime à la performance identique être octroyée aux para-athlètes français.

André Auberger a été aux premières loges de cette percée, et il y a même contribué directement.

Il s’est retrouvé en fauteuil roulant après avoir échappé à la mort comme militaire déployé en Algérie.

Issu du milieu bancaire, André Auberger a mis son expertise à profit du parasport en fondant le Comité paralympique et sportif français (CPSF) en 1992. Il a présidé celui-ci jusqu’à son départ, en 2009. En parallèle, il a aussi été président de la Fédération française handisport, et trésorier général du Comité international paralympique (CIP). Il a aussi occupé un poste de trésorier auprès du Comité international olympique (CIO).

La question des indemnités financières n’était qu’un vague souhait lointain, presque utopique dans les années 1980. Il était pour lui surtout important d’aider les athlètes à se trouver un emploi, pour qu’ils puissent se concentrer à temps plein sur leur travail.

« Ma première tâche, les premières années comme président, c’était de faire en sorte que les athlètes qui aspirent aux Jeux paralympiques avaient un boulot. On leur a trouvé un travail, à mi-temps, à tiers-temps, pour leur permettre de s’entraîner. Déjà, ça, c’était un gain énorme, parce qu’il y avait très peu d’endroits accessibles en France », raconte-t-il.

« Petit à petit, on a obtenu le statut d’athlète de haut niveau, à partir de à 1993, qui donnait une petite allocation à chacun, comme les athlètes valides [non handicapés]. On était quand même loin de ce qu’eux recevaient, par contre. »

Il s’est rapidement attelé à trouver des partenaires financiers, qui pourraient permettre à ses athlètes de toucher des sommes supplémentaires lorsqu’ils atteignent les plus hauts niveaux. Mais de petites sommes, de 1000 à 5000 francs, et qui augmentaient à chaque cycle.

Cependant, la plus grande aide n’est pas venue du milieu privé, mais du gouvernement. Et précisément de Jacques Chirac, président de la République française de 1995 à 2007.

Un moment crucial, qui a mené à une équité salariale chez les médaillés, s’est produit sous sa gouverne quand il a décidé, en 1996, de remettre les mêmes hautes distinctions aux athlètes olympiques et paralympiques. Ainsi, les médaillés d’or, que ce soit aux Olympiques ou aux Paralympiques, obtiennent la Légion d’honneur; ceux d’argent de bronze, l’Ordre national du Mérite. De tels honneurs étaient réservés aux athlètes olympiques avant son arrivée au pouvoir.

Un geste symbolique, mais porteur de sens pour André Auberger. D’autant plus qu’à partir de ce moment-là, les athlètes paralympiques ont aussi commencé à recevoir une petite prime à la médaille. Elle était moindre, mais c’était significatif.

Le ministère des Sports, responsable de l’enveloppe, a de fil en aiguille augmenté le montant jusqu’à atteindre l’équité. Cette dernière a été atteinte en 2008, et André Auberger a quitté le CPSF en 2009.

« C’était une grande victoire. C’était énorme de permettre aux athlètes handicapés d’avoir la même reconnaissance que les valides », concède-t-il. « Mais tout n’était pas gagné pour autant.»

Le revers de la médaille

Les fonctions d’André Auberger l’ont amené à voyager beaucoup. Et s’il se réjouit de voir une reconnaissance financière égale entre athlètes olympiques et paralympiques, il refuse de voir cela comme un aboutissement. Loin de là.

« L’appui financier, c’est une chose, mais l’accessibilité des infrastructures, c’est difficile ici », admet-il, avouant qu’il admire ce qui se fait aux États-Unis et même au Canada. «On fait peut-être mieux que certains pays pour les primes, mais côté accessibilité, d’autres pays font mieux que nous.»

Dominique Tremblay, qui a participé aux Jeux de Sydney en 2000 lors des épreuves de course en fauteuil roulant, ne voit pas non plus la reconnaissance financière comme une panacée. Selon lui, si l’on veut améliorer les performances canadiennes aux Jeux paralympiques, qui sont en déclin depuis 20 ans, la priorité ne devrait pas être de remettre des sommes aux médaillés.

Le CPC reçoit déjà 5 millions de dollars par année du gouvernement fédéral. Ce dernier préfère injecter cet argent dans le système et les infrastructures.

« On ne peut pas être contre la vertu. On ne va pas cracher sur de l’argent s’il y en a. Cependant, si la tarte ne grossit pas, les pointes pour le développement, les infrastructures vont diminuer », illustre-t-il. «Et elles sont déjà au strict minimum. Nos arénas sont en ruine. Il y a très peu de gymnases adaptés. Est-ce que donner de l’argent aux médaillés d’or, ceux qui ont déjà accès aux commanditaires, c’est la priorité en termes d’investissement? »

Et si le budget accordé augmente, il serait plus pressant d’investir dans la visibilité des para-athlètes, selon Dominique Tremblay, qui est impliqué dans différentes fédérations sportives à l’échelle internationale, nationale et provinciale depuis sa retraite.

« Il faut les mettre de l’avant, dans les publicités du gouvernement. Que ça attire l’attention des commanditaires et des jeunes, pour qu’ils servent de modèles, et qu’à leur tour, ils se mettent à faire du sport. » — Une citation de  Dominique Tremblay, ex-athlète paralympique

Sa crainte est donc qu’une somme versée aux athlètes qui ont déjà atteint les plus hauts niveaux soit prise dans les poches des moins nantis, ceux et celles en bas de l’échelle sportive, qui n’ont déjà pas accès à des infrastructures et programmes de qualité.

Ce débat est inhérent depuis longtemps à la commandite sportive, explique François Carrillat. « C’est une question qui est loin d’être spécifique au parasport. C’est la grande question du sport d’élite versus la masse, et elle est d’ordre politique. Dans certains pays, on focalise ses investissements chez les meilleurs en espérant que leurs succès inspirent la masse et l’encouragent à persévérer. Dans d’autres, on privilégie un peu plus les services directs à la population. Il y a du bon dans les deux stratégies .»

« Un athlète olympique ou paralympique, pour moi, c’est la même chose. Si l’un reçoit 20 000 $, l’autre devrait aussi. Mais c’est pas moi qui donne le 20 000 piastres; c’est facile à dire », conclut pour sa part Dominique Tremblay.

« Il faut trouver le montant, mais pas au détriment de quelque chose d’autre, car le système est déjà financé au strict minimum. »— Une citation de  Dominique Tremblay, ex-athlète paralympique

Les autres solutions pour offrir une prime aux médaillés paralympiques

  1. Une loterie : en Espagne, les comités olympiques et paralympiques reçoivent des fonds amassés grâce à une loterie nationale, mais les sommes allouées ont chuté de façon draconienne pendant la COVID-19. Il existe un système semblable en Angleterre, mais qui ne fait pas l’unanimité, pour des raisons de dépendance au jeu, notamment.
  2. Le sociofinancement : en Australie, une athlète ayant pris part aux Olympiques a mis en place une campagne de sociofinancement quand elle a appris que ses homologues paralympiques ne recevaient pas de prime à la médaille. La campagne a connu un immense succès et a immédiatement attiré l’attention du gouvernement, qui a rapidement annoncé que les para-athlètes allaient eux aussi recevoir une somme équivalente.

Source :

https://ici.radio-canada.ca/jeux-paralympiques/nouvelle/1868635/injustice-prime-medaille-olympique-paralympique-canada?fbclid=IwAR0ZyMInE8B2Q925u3bzqZIjR66YebIcDmIy

― 29 mars 2022 ―